Le contexte

Il existe un temps où les terres d’Utopia n’étaient pas souillées. Dès l’aube, on ne voyait que le soleil, astre flamboyant se levant paresseusement, jamais on n’aurait pu penser qu’un funeste jour, des ombres accompagneraient son réveil, des ombres qu’on pensait ne jamais s’éteindre. La nature resplendissait et les eaux étaient paisibles. Utopia était grande, Utopia était belle, Utopia incarnait la magnificence avec ses fiers royaumes, seulement, à l’époque encore, ils ne savaient pas. La folie des peuples fait bien des ravages. Ils étaient au nombre de quatre, anciennement nommés royaumes, aujourd’hui est-il encore bon d’user de ce terme ? J’en suis moins sûr.

Delena, le royaume aux milles visages où la gentillesse d’un peut cacher la perfidie d’un autre vaquait alors encore à ses occupations. L’envie de s’agrandir, de voir ses terres s’allonger faisait rage, de fiers et braves combattants dont l’intelligence va de pair avec la soif de vaincre. On ne savait jamais à quoi s’attendre avec eux, l’excitation toujours au rendez-vous, l’aventure se faisait belle.
Si vous aviez pu voir Forcena et ses technologies, les grands inventeurs de ce monde, les êtres bien plus doués que beaucoup de conteurs pensant nous faire voyager, eux ne vendaient pas du rêve mais une réalité certaine. Ils venaient pour la plupart de là-bas, un peuple pacifiste, des habitants aimants de leur contrée fleurie faite de plaines à perte de vue. Un monde enchanteur où les créatures de la forêt n’avaient crainte de se mêler aux humains.

Les neiges éternelles, les fiers chevaliers, la douce chaleur d’un foyer quand vient le soir mordant, les grandes traversées des cols pour rejoindre sa famille, on décrivait ainsi Astoria. Cachée par les montagnes et sous les neiges mais pourtant accessible, son peuple soudé redoublait de bonne volonté.

Mon seul regret se porte sur le sort funeste que l’on réserva à Erredyen, aujourd’hui connu sous l’appellation de « Terres Dévastées ». Contrée désertique, aride et peu clémente, les hommes du désert et ses valeureux habitant étaient enviés pour leur ténacité. Pourtant, on détruisit leur royaume pour prendre leur or, leurs diamants, pour s’enrichir. On laissa les terres à l’abandon et ses habitants dans l’aversion pour le reste du monde, ceux qui survécurent et restèrent.

S’il fallait naviguer, il suffisait d’emprunter la voie des mers et d’amarrer dans l’un des ports de ces trois grands territoires. Ces années-là étaient paisibles, bercées par les guerres de certains, la politique des autres. La vie était si belle, quel doux euphémisme à mes pauvres oreilles…

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Un précieux ouvrage circulait depuis des siècles entre les habiles mains des dirigeants de chacun des différents royaumes. Les pires fléaux de l’humanité étaient consignés dans celui-ci, servant de référence et d’avertissement pour les plus audacieux. Chaque chef y rédigeait ses propres batailles et monstres rencontrés tentant de préserver Utopia face à ce qu’elle ne connaissait pas. Ils avaient conclu un pacte vieux déjà de cinq cent années cependant, il y a vingt-neuf ans, les derniers dirigeants en date de Forcena et Astoria décidèrent de brûler le grimoire pour qu’il ne soit pas utilisé à des fins effroyables. Offrant le manuscrit à de puissantes flammes, un cadeau leur fut accordé en retour, le pire des présents qu’ils désiraient voir apparaître…

Il se nommait l’Ombre, et ce fut le début de la fin. Dès que les flammes embrassèrent la reliure, il fut enfin libre, séparé à jamais du Livre du Chaos. Les fautifs tentèrent de faire face à l’ennemi mais ce dernier disparut aussitôt et le livre s’évapora, personne ne remit jamais la main dessus. Peut-être le hasard désira-t-il ça, quoi que certains donnèrent à cela le nom de « chance ». On dit que le Gardien du Livre du Chaos l’aurait retrouvé et caché afin qu’il ne cause plus de dégâts, protégeant ainsi les terres déjà assombries d’Utopia.

L’Ombre fut acclamée en héros apparaissant comme un dieu aux yeux de Delena. Il se présenta comme le sauveur, le révolutionnaire qu’ils attendaient. Usant de ses pouvoirs pour leur démontrer son statut de divin, il ne fallut pas longtemps aux Délénians pour croire aux mirages vendus par cet imposteur. Visant les mêmes objectifs que le peuple, ils entrèrent rapidement en guerre contre Astoria qui eux redoutaient cet ennemi sans visage. Ne désirant souiller les futures terres, leur combat se déplaça jusqu’à l’ancienne contrée qu’on nommait Erredyen. Ce peuple étant en minorité, il fut décimé sur le passage des guerriers, les morts furent nombreux, beaucoup de sang coula, ainsi que de pleurs.
Mais les choses n’allaient pas s’arrêter là. Pendant ces années que l’on nomma « Les Années Noires », l’Ombre tenta de rallier à sa cause Forcena pour renverser les dernières forces d’Astoria qui luttaient avec acharnement, tant bien que mal, avouons-le. Pacifistes de nature, ils affirmèrent qu’il ne s’agissait pas de leur guerre et furent réduits alors en esclavage par Delena sous le commandement de l’Ombre. On ne leur laissa guère choix par la suite.

Personne n’en réchappa, quelques Forcéniens résistèrent mais les autres subirent l’emprise de Delena. Affiliés à des tâches inhumaines, leur peuple fut discrédité. Si les choses n’allaient pas, les coups de fouets pleuvaient. Beaucoup périrent sans que l’on ne sache même leur nom, eux ayant préféré garder cela secret, par honneur. Il passa dix années de terreurs et de répressions avant que l’Ombre ne commette une erreur. Ce jour-là, il fit exécuter le soldat le plus brave de Delena pour soi-disant, fainéantise. Quand sa famille s’en mêla, ils furent pendus. De là, on commença à se poser des questions sur son réel attachement à leur peuple. Les choses s’accélérèrent lorsqu’il exigea que l’on envoie les enfants au front pour remplacer leurs parents morts. Delena les vils ouvrirent alors leurs cœurs. Ce fut rare dans notre histoire mais ces faits sont pourtant bien réels. Mettant leur rancœur de côté, Delena et Astoria s’allièrent cette seule et unique fois…

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L’Ombre gardait secrète dans un coffre fort la page du livre que les flammes avaient laissé intacte et dont il avait pu s’emparer, on pouvait y lire sa propre histoire. S’en vantant souvent à ses conseillers, car ses frères n’avaient pas cette chance, eux perdus à jamais, un plan fut alors élaboré.
Le jour se levait à peine que l’Ombre contemplait déjà son œuvre. Son regard inattentif sur son destin lui fut fatal. Un délénian au courage d’acier s’en empara, bien qu’il fut tué par l’Ombre, la page elle fut interceptée par les résistants. Elle fut déchirée et l’Ombre perdit ses dons. Il fut enchaîné, brûlé par trois fois, décapité, flagellé et ses débris jeté dans l’Océan. Sa page fut elle aussi brûlée et décimée aux quatre coins du monde pour les cendres restantes. On fit des fêtes partout, oubliant presque l’amertume de chacun et les actes de certains…Mais pour ma part je préférais rester en garde et redoutait quelque chose bien qu’elle ne vint pas dans l’immédiat.

Voila 29 ans que ce terrible incident s’est produit.. Peu osent encore en parler. Il est de coutume de se taire car beaucoup d’erreurs ont vu le jour pendant cette effroyable guerre. Tout de même, les choses ont tenté de rentrer dans l’ordre.

Forcena a repris ses terres, aidée par Astoria lorsque l’Ombre ne fut plus. Seulement, les rancœurs tiennent encore tandis que le temps a passé. En effet, pendant la guerre, les Astorians n’ont rien fait pour aider les anciens esclave trop absorbés dans leur mission de vaincre l’Ombre.
Delena ne ressort pas honteuse mais se pense glorieuse, étant celle où les pertes ont été le moins tragiques. Certains tenteraient même de faire revivre l’Ombre…Les leçons du passé ne semblent pas leur importer…Pauvres imprudents.
Astoria a repris ses habitudes bien qu’ils tentent d’aider du mieux qu’ils peuvent Forcena, peut-être par honte ? Les pertes ont également été nombreuses de leur côté, on peut souligner leur discrédit mais également leur bravoure pour tenter de remédier à tout cela.
Erredyen n’est plus, il ne reste que des terres désertes face à l’ancienne civilisation. Certains se sont réfugiés en ces Terres Dévastées trop amers pour rester parmi les autres, trouvant pour seule maison, un monde austère.

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Mais vingt-deux ans après, le vent s’est levé, la terre a fondu, les anciens rois sont décédés ne laissant aucune directive quand à leur succession, bien que leur descendance semble primer, certains les considérant comme les dignes héritiers, d'autres voient là le moyen d'accéder au pouvoir.

Tout le monde connaît l’histoire de ces êtres venus d’ailleurs qui par on ne sait quelle magie se retrouvent foulant nos terres. Ils ne sont guère autant que nous mais toujours désemparés face à Utopia. Seraient-ils tous atteints du même mal car ils expliquent toujours la même chose, une étrange affiche relatant les vertes contrées d’Utopia leur serait tombée entre les mains. De là, ils auraient été éblouis par une violente lueur pour rouvrir les yeux aux quatre coins de notre monde. Tout le monde connaît cette légende mais peu y croient encore. Pourtant, ils sont nombreux à nous avoir rejoint après la disparition du Livre du Chaos. Comme si ces rumeurs-là ne suffisaient guère, on raconte également que parfois, on voit des feuilles comme arrachées d’un livre voler dans les airs ou piétinées sur le sol…

Murmures d’un ancien roi dédié à l’océan…

© Opale pour Utopia